NERVEUX (SYSTÈME) - Neurobiologie

NERVEUX (SYSTÈME) - Neurobiologie
NERVEUX (SYSTÈME) - Neurobiologie

Généralement, on définit une science biologique fondamentale selon les moyens techniques qu’elle utilise. La biochimie applique les techniques de la chimie au matériel vivant, la biophysique celles de la physique, et la physiologie réalise en quelque sorte une synthèse puisque aussi bien les méthodes de ces deux premières sciences que les techniques chirurgicales sont utilisées par le physiologiste. Lorsque l’étude concerne un organe ou un système particulier, non seulement l’organe ou le système mais également les moyens techniques mis en œuvre sont immédiatement précisés; on parle ainsi de biophysique des membranes, de physiologie cardiaque... De même, dans le cas du système nerveux, parlait-on encore très récemment de neurochimie, de neurophysiologie... alors pourquoi ce terme neurobiologie ? Sa naissance marque en fait le début d’une ère nouvelle dans l’étude du système nerveux, celle du dialogue entre les spécialistes des différentes disciplines. À l’heure actuelle, tous les chercheurs sont d’accord pour dire que seule une approche pluridisciplinaire permet et permettra de comprendre de mieux en mieux le fonctionnement du système nerveux. Dès lors, les spécialités disparaissent et une science nouvelle apparaît, qui se définit non plus par des moyens techniques, qui sont en fait tous ceux des autres sciences, mais par l’objet d’étude: le système nerveux.

1. Caractère multidisciplinaire de la neurobiologie

Les progrès considérables enregistrés au cours des dernières décennies dans la connaissance du fonctionnement cérébral et dans la thérapeutique neurologique et psychiatrique illustrent magnifiquement la richesse du dialogue entre les biologistes moléculaires, les pharmacologues, les neurophysiologistes, les psychiatres..., devenus tous des neurobiologistes.

Énumérer les disciplines intéressées par la neurobiologie reviendrait en fait à mentionner toutes les spécialités de la biologie, depuis celles qui concernent l’infiniment petit (microscopie électronique, biologie moléculaire) jusqu’aux sciences du comportement et à l’observation clinique en neuropathologie et en psychiatrie.

Plutôt que d’établir un catalogue, on peut tenter de montrer à l’aide d’un exemple, celui de la découverte des morphinomimétiques endogènes dans le système nerveux central, comment les différents spécialistes peuvent concourir à résoudre un problème clé en neurobiologie.

Au cours des années 1955-1970, la morphine a sans doute été l’une des drogues dont l’analyse du mode d’action a mobilisé le plus de chercheurs. Immédiatement après la découverte des grands systèmes de neurones monoaminergiques (cf. infra , Les neurorégulateurs, molécules actives du système nerveux ), on a cherché à savoir si l’activité de ces neurones était perturbée par la morphine. Ainsi, grâce aux techniques de la pharmacologie biochimique , les chercheurs ont pu montrer que la morphine stimulait l’activité des neurones dopaminergiques et sérotoninergiques centraux. Comme les effets comportementaux et biochimiques des morphinomimétiques ne peuvent être provoqués par les inverses optiques de ces drogues (par exemple, le levorphanol est actif alors que le dextrorphan, qui est en fait son image en miroir, est un composé inactif), on est vite parvenu à la notion que la structure spatiale de ces drogues jouait un rôle clé, et que par conséquent il devait exister des sites de reconnaissance stéréospécifique des récepteurs de la morphine dans le système nerveux central. La recherche de ces récepteurs débute avec les travaux de A. Goldstein publiés en 1971. En fait, ce chercheur propose une méthode pour mesurer la liaison stéréospécifique d’un morphinomimétique radioactif sur des membranes biologiques. C’est grâce à cette méthode que Terenius en Suède et Snyder et Simon et leurs collaborateurs aux États-Unis parviennent, en 1973, à démontrer l’existence de sites de liaison pour les morphinomimétiques dans le cerveau. Comme aucun neurotransmetteur connu à l’époque ne se liait sur ces récepteurs dans des conditions proches des conditions physiologiques normales, les auteurs ont été conduits à proposer l’existence d’un facteur endogène capable de se lier sur ces récepteurs. En sélectionnant des extraits solubles de tissu cérébral capables de reproduire les effets de la morphine, c’est-à-dire de bloquer les contractions d’un muscle lisse provoquées par des impulsions électriques (expériences de pharmacologie classique de Hughes et Kosterlitz) ou d’occuper les sites de liaison des morphinomimétiques sur des membranes (travaux de Terenius et Wahlström), les auteurs sont parvenus à isoler des peptides qui possèdent toutes les propriétés pharmacologiques de la morphine. À ce stade, le concours de la biochimie et de la chimie analytique était devenu nécessaire pour identifier les substances actives dans les extraits. Deux types de molécules ont été isolés: les enképhalines et les endorphines. Les enképhalines (leu- et mét-enképhalines) sont des pentapeptides morphinomimétiques d’origine cérébrale tandis que les endorphines ( 見, 廓 et 塚-endorphines) sont des peptides plus gros (16-31 acides aminés) qui ont été d’abord extraits de l’hypophyse. Tous ces peptides sont en fait des fragments d’une protéine de 91 acides aminés, la 廓-lipotropine. Les endorphines contiennent toutes la séquence de la mét-enképhaline à leur extrémité N-terminale, ce qui permet d’associer les propriétés morphinomimétiques à cette partie de la molécule (fig. 1).

Bien vite, des méthodes de dosage spécifique de ces peptides ont été développées avec le concours des techniques de l’immunologie . Des anticorps dirigés contre les peptides morphinomimétiques ont été obtenus et utilisés pour la mesure de ces substances par radio-immuno-étalonnage. Leur utilisation en immunohistochimie a ensuite permis à Hökfelt en Suède et à Bloom aux États-Unis de préciser l’anatomie des systèmes de neurones qui contiennent ces peptides. Ainsi, les enképhalines sont décelées surtout dans des neurones courts dont les terminaisons sont particulièrement abondantes dans le striatum, l’hypothalamus, le noyau central de l’amygdale, le thalamus, la région de la substance grise périaqueducale et la substance gélatineuse de Rolando (au niveau de la moelle épinière). En revanche, les neurones qui contiennent la 廓-endorphine sont relativement longs puisque leurs corps cellulaires sont situés pour la plupart dans la partie basale de l’hypothalamus tandis que leurs axones se terminent ou bien très en avant jusqu’au septum ventral ou au noyau accumbens, par exemple, ou bien en arrière jusqu’au locus cœruleus et à la formation réticulée.

Les zones riches en neurones enképhalinergiques se superposent à celles dont la stimulation électrique directe peut entraîner une analgésie. De fait, les physiologistes ont montré que la stimulation de la substance grise périaqueducale diminue considérablement les sensations douloureuses aussi bien chez l’animal que chez l’homme [cf. OPIOÏDES].

À la lumière de travaux de microélectrophysiologie , il semble que les morphinomimétiques endogènes (enképhalines, 廓-endorphine) ou exogènes (morphine et dérivés) soient capables d’activer sélectivement un groupe de neurones bulbospinaux qui contiennent de la sérotonine et dont la fonction serait d’empêcher le passage de l’influx nerveux dans des interneurones des cornes dorsales de la moelle épinière. Comme ces interneurones sont en fait les cellules qui assurent la transmission des messages nociceptifs (voie de la douleur), on comprend pourquoi l’administration d’un morphinomimétique déclenche l’analgésie.

Enfin, l’observation clinique semble confirmer les données de la physiologie puisque l’analgésie provoquée par la stimulation électrique de la substance grise périaqueducale s’accompagne d’une augmentation des concentrations d’enképhalines et de 廓-endorphine dans le liquide céphalo-rachidien chez l’homme. De plus, les effets analgésiques de cette stimulation sont sélectivement bloqués par l’administration de naloxone, un antagoniste spécifique de la morphine.

Il a été d’autre part constaté que certains malades naturellement peu sensibles à des stimuli nociceptifs pouvaient recouvrer un seuil de sensibilité normal après un traitement avec de la naloxone.

Au total, à partir du concept de «morphines endogènes», cinq années de collaboration particulièrement féconde entre les différents spécialistes de la neurobiologie ont suffi pour isoler ces substances, préciser leur localisation au sein de neurones spécifiques et démontrer leurs rôles physiologiques, notamment dans les mécanismes de la sensation douloureuse.

L’histoire est cependant bien loin d’être terminée puisqu’on sait depuis longtemps que la morphine a d’autres effets que de bloquer la transmission des influx nociceptifs. En particulier, elle perturbe profondément les sécrétions hypophysaires. Deux observations récentes suggèrent que cette action pourrait avoir une composante physiologique: d’une part, les zones de l’hypothalamus qui contrôlent l’hypophyse sont particulièrement riches en morphinomimétiques endogènes; d’autre part, ces substances sont capables dans des conditions proches des conditions physiologiques d’augmenter les sécrétions de prolactine et de l’hormone de croissance. Ces résultats ne sont pas les seuls à mettre à l’actif de la neuroendocrinologie dans le domaine des morphinomimétiques endogènes. En fait, l’apport de cette discipline est tout à fait considérable et mérite d’être souligné. En particulier, les travaux de Guillemin et de ses collaborateurs qui montrent qu’une même substance, la 廓-endorphine, se comporte tantôt comme un médiateur (possible) du système nerveux central, tantôt comme une hormone (elle est libérée en même temps que l’hormone corticotrope au cours d’un stress), ont même conduit à réviser la définition du médiateur.

2. Les neurorégulateurs, molécules actives du système nerveux

Il y a moins de vingt ans, l’identification d’un neurone reposait exclusivement sur des critères électrophysiologiques (notamment la vitesse de conduction de l’influx le long de son axone) et cytologiques (type bipolaire, multipolaire, etc.). À l’heure actuelle, la découverte des substances synthétisées et libérées par les neurones, les neurorégulateurs , conduit à définir la cellule nerveuse davantage en fonction de ses potentialités métaboliques. Ce choix est d’autant plus justifié qu’il élimine – du moins en apparence – toute ambiguïté puisque «un neurone donné synthétise et libère un médiateur et un seul» (principe de l’unicité de Dale). En fait, le modèle du neurone calqué sur celui du motoneurone, c’est-à-dire une cellule avec un péricaryon, des dendrites, un axone et des terminaisons au niveau desquelles un seul médiateur est libéré, ne semble s’appliquer que dans quelques cas particuliers (celui des neurones cholinergiques notamment). Des observations récentes indiquent qu’un neurone libère sa molécule active non seulement à partir de terminaisons qui n’ont aucun contact synaptique avec d’autres cellules mais également à partir de ses dendrites. Enfin, il vient d’être montré qu’un neurone peut contenir (et sans doute synthétiser et libérer) plus d’une substance active, en l’occurrence la substance P et la sérotonine dans certains neurones du noyau raphé magnus dans le tronc cérébral, la somatostatine et la noradrénaline dans certains neurones noradrénergiques du système sympathique.

En dépit de leur différenciation extrêmement poussée et caractéristique, les neurones constituent un groupe cellulaire très hétérogène dont les propriétés physiologiques sont très diversifiées depuis le type «classique» du motoneurone jusqu’à celui d’une cellule neurosécrétrice. D’ailleurs, les neurones qui contiennent à la fois une amine (sérotonine, noradrénaline) et un peptide (substance P, somatostatine) sont très proches des cellules du système APUD («Amine Content and/or Precursor Uptake and Decarboxylation»), caractéristique du tractus gastro-intestinal (Pearse).

Le nombre très important de substances ou groupes de substances que l’on considère comme actives dans le système nerveux central des mammifères est illustré par le tableau 1. Certaines sont des neuromédiateurs qui permettent le passage de l’influx d’un neurone présynaptique à un neurone postsynaptique comme l’acétylcholine, le GABA (acide 塚-aminobutyrique)... D’autres, comme la dopamine, la sérotonine, la noradrénaline..., semblent surtout agir en modifiant l’état de polarisation des membranes et ainsi tantôt augmenter, tantôt réduire la capacité d’un neuromédiateur à transmettre l’influx nerveux dans une synapse: ce sont donc des neuromodulateurs . Généralement, les effets de ces substances sur la transmission synaptique sont la conséquence de leur action (inhibitrice ou stimulante) sur la libération du neuromédiateur. Dans d’autres cas, les neuromodulateurs interviennent en modifiant la sensibilité des récepteurs postsynaptiques vis-à-vis des neuromédiateurs. En fait, la distinction entre neuromédiateur et neuromodulateur est souvent difficile, et une même substance peut fort bien être neuromédiateur pour un système de neurones X et neuromodulateur pour un autre système de neurones Y. Aussi vaut-il mieux désigner sous le terme général de neurorégulateur toute molécule endogène capable de modifier l’activité des neurones.

Les neurones les mieux connus à l’heure actuelle dans le cerveau sont certainement les neurones monoaminergiques . C’est une découverte d’Eränko exploitée très judicieusement par les auteurs suédois (Falck, Hillarp, Carlsson, Fuxe, Dahlström) qui a permis d’établir dès les années 1962-1966 la distribution des neurones contenant une monoamine dans le système nerveux central. En effet, dans certaines conditions, aussi bien la sérotonine que les catécholamines au sein même des neurones dans une coupe histologique émettent une fluorescence de longueur d’onde caractéristique.

Comme le montre la figure 2, les corps cellulaires des neurones sérotoninergiques sont situés dans le tronc cérébral (zone du raphé) et envoient leurs axones dans l’ensemble du système nerveux central. Les corps cellulaires des neurones noradrénergiques sont également groupés en noyaux dans le tronc cérébral mais de part et d’autre de la zone médiane du raphé. Le locus cœruleus est sans doute le plus important de ces noyaux; les fibres qui en partent innervent les principales aires cérébrales ainsi que la moelle. Enfin, la plupart des neurones dopaminergiques ont leurs corps cellulaires situés dans la zone compacte de la substance noire et dans l’aire tegmentale ventrale et se projettent dans le neostriatum (noyau caudé et putamen), le tubercule olfactif, le noyau accumbens et certaines régions corticales (cortex frontal et cingulaire en particulier).

Bien que les neurones monoaminergiques semblent impliqués dans de nombreuses fonctions, leur proportion dans le système nerveux central est extrêmement faible: on ne compte en effet que 5 000 corps cellulaires de neurones dopaminergiques dans la substance noire chez le rat par exemple; chez le chat, on estime à 50 000 au maximum le nombre total de corps cellulaires qui contiennent de la sérotonine, alors que le cerveau contient plusieurs dizaines de millions de neurones. De même, la densité des terminaisons monoaminergiques dans une région donnée du système nerveux central est en général très faible. Chez le rat, le chiffre le plus élevé est atteint dans le neostriatum où on estime que 15 p. 100 des terminaisons contiennent de la dopamine ; au total, ces terminaisons dopaminergiques n’occupent cependant que 0,3 p. 100 du volume du neostriatum. En moyenne, ces chiffres sont beaucoup plus petits; ainsi, sur 1 500 terminaisons dans le cerveau antérieur chez le rat, une seule contient de la sérotonine.

Grâce à des expériences de lésions spécifiques ou de stimulations électriques directes, on a pu montrer que les neurones monoaminergiques étaient impliqués dans de nombreux comportements comme la faim, la soif, le sommeil, le comportement sexuel, la thermorégulation... Comme ces comportements sont perturbés par des agents pharmacologiques, les drogues psychotropes, on a très vite été conduit à rechercher si ces drogues altéraient l’activité de ces neurones en modifiant le métabolisme des monoamines. De fait, de nombreux travaux ont montré que les neuroleptiques (phénothiazines et butyrophénones) bloquaient la transmission dopaminergique, que le LSD supprimait l’activité des neurones sérotoninergiques, que les amphétamines augmentaient la libération de la dopamine à partir des terminaisons et des dendrites des neurones dopaminergiques... Bien sûr, il ne s’agit là que d’exemples, et les drogues exercent rarement une seule action dans le système nerveux central. Les troubles comportementaux qu’elles provoquent sont en fait la résultante d’effets multiples sur des systèmes de neurones divers (et peut-être encore inconnus).

Si la cartographie des voies monoaminergiques est assez bien établie, celle des autres systèmes est en revanche assez mal définie. Ainsi les cellules qui contiennent le GABA semblent se distribuer dans l’ensemble du système nerveux central, principalement sous la forme de neurones courts. On connaît cependant un groupe de fibres longues gabaergiques issues du neostriatum et qui se projettent dans la substance noire. Cette voie joue d’ailleurs un rôle important dans le contrôle de la motricité involontaire. Le GABA est certainement un neuromédiateur – en général inhibiteur – très important, puisqu’on estime de 20 à 30 p. 100 la proportion de terminaisons gabaergiques dans le cerveau du rat. De même, la répartition des fibres glycinergiques et glutamatergiques reste encore très difficile à préciser. À défaut d’un anticorps d’une enzyme spécifique du métabolisme d’un médiateur donné, les auteurs peuvent identifier un neurone grâce à sa capacité d’accumuler son médiateur avec une forte affinité. À la suite d’une lésion, la diminution de cette capacité peut signifier la dégénérescence des terminaisons appartenant à ce type de neurones. En particulier, comme la lésion du cortex cérébral entraîne une diminution de la capacité des terminaisons nerveuses du neostriatum à capter l’acide glutamique, McGeer et ses collaborateurs pensent qu’il existe une voie glutamatergique corticostriatale. Des données pharmacologiques et électrophysiologiques confirment d’ailleurs tout à fait cette hypothèse.

La substance P est un peptide de onze amino-acides qui est contenu dans des neurones spécifiques répartis dans de nombreuses régions centrales. Une des voies parmi les mieux caractérisées est constituée par un faisceau de fibres issues de corps cellulaires situés dans le neostriatum et qui se terminent dans la substance noire. En outre, comme les neurones des ganglions spinaux qui envoient leurs axones dans la moelle par les racines dorsales sont des cellules qui contiennent et libèrent de la substance P, on pense que ce peptide pourrait être le médiateur des fibres sensitives périphériques. La distribution des terminaisons qui contiennent de la substance P au niveau des cornes dorsales de la moelle suggère également que cette molécule joue un rôle dans la transmission du message douloureux vers les centres supérieurs.

Bien que l’identification des neurorégulateurs et la mise en évidence de leur rôle fondamental dans la physiologie nerveuse aient constitué une part importante des recherches en neurobiologie au cours de ces vingt dernières années, il convient de rappeler que d’autres travaux non moins brillants ont clairement montré que la transmission de l’influx pouvait dans certains cas ne pas faire intervenir de médiateur. De fait, il existe des «synapses électriques» dans certaines régions cérébrales, même chez les mammifères.

3. Techniques neurobiologiques; leurs applications chez l’homme

Détection des sites récepteurs

Comme l’illustre l’exemple des morphinomimétiques endogènes (cf. supra , Caractère multidisciplinaire de la neurobiologie ), les méthodes de la neurobiologie sont extrêmement variées. À l’heure actuelle, la séquence des recherches qui ont abouti à la découverte des enképhalines et des endorphines est souvent copiée dans le but d’identifier de nouveaux neurorégulateurs. Le point de départ consiste à rechercher, à l’aide d’un ligand radioactif de forte activité spécifique, le (ou les) site(s) récepteur(s) d’une drogue et à tester ensuite l’efficacité de substances endogènes, neurorégulateurs possibles, à inhiber la liaison de cette drogue sur son (ou ses) site(s) spécifique(s). Dans le cas des benzodiazépines, tranquillisants mineurs dont le mécanisme d’action reste assez mystérieux, Squires et Braestrup sont parvenus à montrer qu’il existait des récepteurs spécifiques de ces drogues dans le système nerveux central des mammifères. Plusieurs équipes tentent d’isoler les substances endogènes qui normalement se fixent sur ces récepteurs. Il pourrait s’agir de tranquillisants endogènes, et leur identification sera sans doute d’un gros intérêt pour la synthèse de nouveaux médicaments encore plus efficaces. Enfin, ce type de recherche est également en usage pour tenter d’extraire du cerveau des psychodysleptiques endogènes capables d’empêcher la liaison du LSD radioactif sur son récepteur. Ce travail est d’autant plus difficile que des neurorégulateurs connus comme la sérotonine et la dopamine interfèrent déjà avec la liaison du LSD. Dans tous les cas, l’identification d’un neurorégulateur exige que la molécule extraite exerce des effets électrophysiologiques, biochimiques et comportementaux apparentés à ceux de la drogue choisie au départ (benzodiazépines, LSD...).

Identification des neurones

L’identification d’un système de neurones donné ou la détermination de son rôle dans tel ou tel comportement fait appel à des méthodes qui découlent directement de l’extrême différenciation de ces cellules. Ainsi, dans certaines conditions, les neurones sérotoninergiques sont les seuls capables d’accumuler la sérotonine exogène grâce à un mécanisme spécifique à forte affinité pour ce neurorégulateur. À la suite de l’administration de sérotonine radioactive directement dans les ventricules cérébraux, seuls les neurones sérotoninergiques auront accumulé l’amine exogène. Cette technique est souvent mise à profit pour étudier l’anatomie d’une population neuronale en microscopie électronique. Si, au lieu du neurorégulateur, c’est une neurotoxine qui pénètre dans le neurone grâce à son mécanisme de transport spécifique, seul le neurone qui possède ce mécanisme accumulera la substance toxique au point d’entraîner sa destruction. Pratiquement, le neurobiologiste dispose ainsi de plusieurs neurotoxines (tabl. 2), dont la spécificité d’action découle directement de l’extrême différenciation des types neuronaux:

– la 6-hydroxydopamine, qui ressemble beaucoup aux catécholamines, pénètre dans les neurones noradrénergiques et dopaminergiques grâce aux systèmes de capture normalement dévolus à la noradrénaline et à la dopamine; dès lors, l’administration de cette neurotoxine dans le cerveau y provoque la dégénérescence sélective des neurones catécholaminergiques;

– les dihydroxytryptamines (5,6 et 5,7-dihydroxytryptamine) détruisent surtout les neurones sérotoninergiques;

– la parachloroamphétamine provoque des lésions dans le tronc cérébral, en particulier au sein de certains noyaux qui contiennent une assez forte densité de neurones sérotoninergiques; son mécanisme d’action est encore inconnu;

– l’injection intracérébrale d’acide kaïnique, un analogue rigide de l’acide glutamique, entraîne la dégénérescence locale des corps cellulaires neuronaux en laissant intactes les fibres en passage, les terminaisons nerveuses et les cellules gliales;

– la 3-acétylpyridine est utilisée pour léser spécifiquement certains groupes cellulaires, en particulier celui de l’olive bulbaire inférieure à l’origine des fibres grimpantes du cervelet.

Ces neurotoxines se révèlent des outils pharmacologiques de tout premier ordre puisque, au contraire des lésions électrolytiques qui sont complètement non spécifiques, celles qu’elles provoquent ne concernent qu’un groupe restreint et identifié de neurones. En particulier, elles sont largement utilisées pour préciser le rôle joué par telle population neuronale dans un comportement donné. En outre, ces neurotoxines permettent de réaliser chez l’animal des perturbations qui ressemblent à certains troubles neurologiques chez l’homme (cf. PSYCHOPHARMACOLOGIE, SYNAPSES).

Mesure de l’activité d’un neurone

Le problème qui reste à résoudre lorsque le neurorégulateur et les neurones qui le contiennent sont parfaitement identifiés est celui de la mesure de l’activité de ces neurones. Dans les cas les plus favorables, la technique utilisée consiste à enregistrer l’activité électrique d’un neurone défini à l’aide d’une micro-électrode si fine qu’elle ne provoque par elle-même aucune perturbation. Dans le système nerveux central, cela est non seulement difficile mais le plus souvent impossible. Comme l’activité neuronale se traduit par la libération de médiateurs, la mesure de leurs concentrations dans l’espace extracellulaire peut constituer un moyen pour apprécier l’état fonctionnel d’un groupe plus ou moins large de neurones. Chez l’animal, on peut par exemple perfuser un noyau particulier du système nerveux central à l’aide d’une canule à double corps et mesurer les quantités d’un médiateur donné libéré dans ce noyau et entraîné dans le liquide de perfusion. Malheureusement, la réalisation de telles expériences provoque nécessairement des lésions dont il faut tenir compte dans l’interprétation des résultats. R. N. Adams et ses collaborateurs sont parvenus, à l’aide d’électrodes très fines (50-100 micromètres de diamètre) en carbone implantées dans le tissu cérébral, à mesurer localement les concentrations extracellulaires de dopamine, de sérotonine et de quelques-uns de leurs métabolites par une technique voltamétrique. Le principe en est simple: on applique à l’électrode un potentiel donné qui provoque l’oxydation préférentielle d’une monoamine ou d’un métabolite; la libération d’électrons se traduit par un courant dont l’intensité est directement proportionnelle à la concentration du composé au contact de l’électrode. La finesse de cette électrode est telle que la lésion provoquée par son implantation dans le tissu cérébral est à peine décelable sur une coupe histologique. En fait, l’animal porteur d’une telle électrode dans le neostriatum ou l’hippocampe, par exemple, présente un comportement normal et peut être enregistré pendant plusieurs jours sans aucun préjudice apparent.

Une autre méthode couramment utilisée pour mesurer l’activité in vivo d’un groupe de neurones consiste à déterminer la vitesse de renouvellement du médiateur de ces neurones. Cette mesure peut être celle de la vitesse de disparition du médiateur (c’est-à-dire sa vitesse de libération à partir des stocks présynaptiques) après blocage de sa synthèse à la suite de l’administration d’une drogue plus ou moins spécifique. Très fréquemment, on lui substitue le procédé qui consiste à suivre l’évolution de la radioactivité spécifique du médiateur et de ses métabolites après l’administration d’un précurseur radioactif (méthode isotopique). Même si cette dernière méthode a l’avantage de ne pas perturber le système par une drogue, elle implique néanmoins des dosages du médiateur et de ses métabolites dans le tissu nerveux et est donc comme les précédentes inapplicable à l’homme.

Étude des liquides biologiques

Chez l’homme, plusieurs liquides biologiques sont accessibles pour les mesures: l’urine, le sang et le liquide céphalorachidien. Comme nombre de neurorégulateurs (les monoamines, les peptides) existent dans certains organes périphériques (l’intestin tout particulièrement), les dosages effectués dans l’urine ou le sang renseignent sur le métabolisme de ces substances davantage dans les organes périphériques que dans le cerveau. Ainsi, on a pu estimer que dans l’urine seulement 5 p. 100 de l’acide 5-hydroxy-indole acétique, le principal métabolite de la sérotonine, provenaient du métabolisme cérébral. Dans quelques cas particuliers, les mesures de métabolites ou d’activités enzymatiques dans le sang peuvent cependant présenter un intérêt; ainsi, les plaquettes sanguines accumulent la sérotonine grâce à un mécanisme membranaire identique à celui des neurones sérotoninergiques centraux, et la découverte d’une anomalie au niveau des plaquettes peut signifier (mais pas toujours) qu’un défaut analogue existe dans des neurones sérotoninergiques. Comme l’ont montré plusieurs équipes (Axelrod, Klein), la synthèse de mélatonine dans l’épiphyse dépend de la stimulation de récepteurs 廓-adrénergiques, et l’on pense que la mesure de la concentration de cette hormone dans le sang pourrait apporter des informations nouvelles sur l’état de ces récepteurs dans l’épiphyse et dans le système nerveux central.

À l’inverse des autres liquides biologiques, le liquide céphalorachidien n’est pas ouvert sur la périphérie mais en est séparé, au même titre que le cerveau, par une barrière naturelle, la barrière hémato-encéphalique. Ainsi le transport de molécules, comme les catécholamines, la sérotonine, le GABA et leurs métabolites, de la périphérie vers le système nerveux central est empêché, de telle sorte que, dans le liquide céphalorachidien, ces molécules sont d’origine exclusivement centrale. Leur détermination chez l’homme peut fournir des indications précieuses sur le niveau d’activité de certaines populations de neurones. Dans une situation pathologique, la connaissance de la concentration d’un métabolite particulier d’un médiateur peut parfois permettre de choisir la thérapeutique le plus efficace possible.

4. L’avenir de la neurobiologie

Alors que l’on définissait un neurone exclusivement par ses caractéristiques morphologiques et électrophysiologiques, on peut maintenant y ajouter un caractère essentiel: la nature du neurorégulateur qu’il synthétise et qu’il libère. Le formidable développement de la biochimie et de la pharmacologie du système nerveux au cours des dernières décennies fait qu’il est maintenant possible de modifier l’activité d’un neurone (ou d’un groupe de neurones) à l’aide de drogues qui agissent à des étapes très précises et bien répertoriées du métabolisme des neurorégulateurs. Tous les jours, des drogues nouvelles sont découvertes, et nul doute que la pharmacologie continuera d’être pour le neurobiologiste comme pour le clinicien une des disciplines de pointe dans l’étude du système nerveux central.

Depuis quelques années, la culture in vitro et in vivo du tissu nerveux permet d’envisager des progrès considérables. On a vu dans la première partie de cet article que l’on pouvait prélever dans les centres nerveux des fœtus ou de très jeunes animaux des fragments tissulaires pour les maintenir en survie dans un milieu artificiel. In vivo , ces mêmes fragments de tissu, greffés dans la chambre antérieure de l’œil ou dans certaines régions du cerveau chez un animal adulte, peuvent se développer et innerver les tissus de l’hôte. Aussi bien les travaux in vitro que les expériences in vivo montrent qu’il existe dans les tissus des substances qui sont capables de stimuler la croissance et la différenciation des cellules nerveuses, comme l’ont montré en particulier Reichardt et Patterson [cf. DIFFÉRENCIATION CELLULAIRE - Cytodifférenciation végétale]. Autant dire que la thérapeutique de demain et d’après-demain dans le domaine des maladies du système nerveux central peut prendre un aspect tout à fait nouveau. Il est ainsi devenu possible de prévenir la dégénérescence d’une voie neuronique donnée par l’administration de substances analogues aux facteurs de croissance et de différenciation qui interviennent dans la neurogenèse. La possibilité de rétablir une voie neuronale par la transformation d’un système de neurones adjacents ou même encore par une greffe. On est passé du domaine de la science-fiction à celui des réalisations concrètes (cf. CROISSANCE [biologie], chap. 5). De telles performances illustrent bien le dynamisme de cette science nouvelle qu’est la neurobiologie.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • NERVEUX (SYSTÈME) — LE SYSTÈME NERVEUX est un ensemble de cellules spécialisées, diversement interconnectées, les neurones , qui, dans le règne animal, assurent les fonctions de relation (rapports de l’animal avec son environnement) et participent, avec le système… …   Encyclopédie Universelle

  • Neurobiologie développementale — Neurodéveloppement Le neurodéveloppement (ou développement neural) désigne la mise en place du système nerveux au cours de l embryogenèse et aux stades suivant de l ontogenèse d un organisme animal. Son étude repose sur une approche combinant… …   Wikipédia en Français

  • neurobiologie — [ nørobjɔlɔʒi ] n. f. • 1913; de neuro et biologie ♦ Sc. Étude du fonctionnement des cellules et des tissus nerveux. N. NEUROBIOLOGISTE . ● neurobiologie nom féminin Discipline qui étudie la biologie des éléments nerveux. neurobiologie n …   Encyclopédie Universelle

  • Neurobiologie — Neurosciences Neurosciences Niveaux d analyse Moléculaire • …   Wikipédia en Français

  • NEUROCHIMIE — Au sens étymologique, la neurochimie est une discipline vouée à l’étude biochimique du système nerveux mais, au delà de toute restriction à ses seules dimensions technologiques, elle représente plutôt une modalité d’approche des neuro sciences,… …   Encyclopédie Universelle

  • SYNAPSES — Chaque neurone du système nerveux entre en contact avec un ou, le plus souvent, avec plusieurs autres neurones; on appelle synapse chacun des éléments, généralement nombreux, de l’ensemble des contacts ainsi réalisés. Le terme fut forgé en 1897… …   Encyclopédie Universelle

  • CERVEAU HUMAIN — De tout temps, la nature des rapports entre le cerveau, structure anatomique fonctionnelle de mieux en mieux connue, et ce qu’on désigne comme étant l’esprit ou le psychisme a stimulé l’intérêt de l’homme, comme en témoigne l’historique établi… …   Encyclopédie Universelle

  • Neurosciences — Dessin de neurones du cervelet de pigeon par Santiago Ramón y Cajal (1899) Les neurosciences désignent l étude scientifique du système nerveux tant du point de vue de sa structure que de son fonctionnement, depuis l échelle moléculaire jusqu au… …   Wikipédia en Français

  • Conscience (biologie) — La conscience, telle qu elle était conçue au XVII ème siècle. On appelle conscience le sentiment, la perception, la connaissance plus ou moins claire que l’être humain a de lui même, de sa propre existence, ainsi que du monde extérieur. Alors que …   Wikipédia en Français

  • NEUROLOGIE (HISTOIRE DE LA) — Entré dans la langue française aux environs de 1690 sous la forme, aujourd’hui caduque, de «névrologie», le terme de neurologie, utilisé à partir de 1732 pour désigner la branche de la médecine qui étudie l’anatomie, la physiologie et la… …   Encyclopédie Universelle

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”